"Avec Houellebecq, il se passe enfin quelque chose". Le monde des Livres | 02.09.10 | 11h51

Critique littéraire au NRC Handelsblad, Margot Dijkgraaf décrypte l’influence de l’écrivain aux Pays-Bas.

Un nouveau livre de Michel Houellebecq est un événement, non seulement en France mais dans toute l’Europe. Il est le seul écrivain français dont les médias néerlandais annoncent un nouveau roman encore non traduit, le seul auteur dont on suit aussi bien les projets que les procès. Qu’a-t-il, Houellebecq, qui manque aux autres écrivains français ? Est-ce son image de provocateur ? Son comportement de star absolue à l’étranger ? Lors de son dernier séjour à Amsterdam, il s’est “perdu” dans le Quartier rouge avant de donner une interview sur son grand lit, installé comme un pacha, ses musiciens à ses pieds, son (ex-)femme à ses côtés, elle avec une cafetière sur les genoux…
Avec Houellebecq, il se passe de nouveau quelque chose en littérature française. Pendant trop longtemps, on a eu l’impression que tout était (trop) calme. Où est le nouveau Sartre, le nouveau Camus, me demande-t-on souvent, qui est la nouvelle Françoise Sagan ?
Même s’il existe d’excellents auteurs français contemporains, leur visibilité est incertaine, surtout dans un pays très tourné vers le monde anglophone comme le sont les Pays-Bas, où les jeunes générations ne savent presque plus lire en français. L’écriture de soi et le genre tellement en vogue de l’autofiction ont renforcé l’impression d’une littérature renfermée sur elle-même. Certes, des éditeurs néerlandais nous présentent d’excellents auteurs comme Emmanuel Carrère, J.M.G. Le Clézio, Jean-Marie Blas de Roblès ou Marie NDiaye. C’est courageux, mais les ventes sont souvent désastreuses.
Ce n’est pas le cas avec les romans de Michel Houellebecq, qui sont devenus des best-sellers aux Pays-Bas comme dans toute l’Europe. Dès Les Particules élémentaires, on a reconnu une nouvelle voix dans la littérature française, qui chez nous a eu la chance de trouver un traducteur excellent, Martin de Haan. La critique a tout de suite parlé de ce provocateur qui sait écrire, ce romancier qui sait raconter une histoire, capable d’embrasser le monde et l’histoire. C’est un écrivain qui n’a pas son pareil pour refléter l’air du temps, qui parle du sexe, de l’apocalypse, de la dégradation du couple, des relations humaines pourries en Europe et, surtout, de l’islam à une époque où, partout en Europe, la question de l’immigration est un sujet extrêmement difficile.
Ce qu’il écrit sur le fonctionnement de l’individualisme libéral, sur la société de consommation, la disparition des normes et la violence humaine en appelle à toute une époque. Très peu d’écrivains contemporains réussissent à marier l’ironie, la provocation, le cynisme et une imagination stupéfiante pour créer une oeuvre dont on n’arrête pas de discuter. Voilà les raisons d’un succès éclatant à l’étranger, aux Pays-Bas et en Allemagne par exemple, où l’auteur jouit d’un grand prestige intellectuel et où son oeuvre engendre de nombreux débats, études critiques et travaux universitaires.
“BIEN PÉRILLEUX VOYAGE”
Le roman qui vient de sortir, La Carte et le Territoire, viendra encore grossir cette réputation. Au lieu d’une vision d’apocalypse telle qu’il nous la présentait dans La Possibilité d’une île, Houellebecq nous peint, dans l’épilogue, la perspective d’une Europe qui économiquement ne joue plus aucun rôle important dans le monde. L’Europe ne connaît plus le problème de l’immigration depuis que “les migrants africains se dirigent vers les nouveaux pays industrialisés” tout en s’exposant “à un bien périlleux voyage, traversant l’océan Indien et la mer de Chine”. Il se dégage du roman une réflexion nostalgique sur l’âge d’or de l’Europe, le côté éphémère de l’industrie humaine, un “sentiment de désolation”.
Houellebecq serait-il un auteur franco-français, avec une oeuvre typiquement française ? Au contraire ! Bien sûr, il situe souvent ses romans en France. Dans son dernier roman, il continue de se moquer de son pays en le décrivant comme n’ayant, dans la nouvelle économie mondiale,“guère à vendre que des hôtels de charme, des parfums et des rillettes – ce qu’on appelle un art de vivre”. Mais dans son oeuvre il dépasse largement ce contexte pour parler de l’Europe. Il continue à être un écrivain “au milieu du monde”, qui frappe où ça fait mal, un auteur qui veut “rendre compte du monde”, comme le répète son personnage principal, dans La Carte et le Territoire.
On l’adore ou on le déteste, mais il ne laisse personne indifférent. Michel Houellebecq a fait revenir la littérature française sur le podium européen.
Margot Dijkgraaf
Article paru dans l’édition du 03.09.10.